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Chronique du Sud-Est N°5

Le slogan claque comme un drapeau bleu blanc rouge, un jour de Mistral : il faut récupérer la souveraineté nationale ! Donc, haro sur Bruxelles ! En détruisant l’Union européenne et l’euro, les Français redeviendraient maîtres de leur destin. C’est beau comme l’antique et pourtant, cette approche ne résiste pas à l’analyse.

Chronique du Sud-Est n°5 : l’impuissance souverainiste

Les Nations ont perdu des marges d’action pour des raisons indépendantes de l’existence de l’Union européenne. Si la France n’en était pas membre, elle subirait aussi de plein fouet les conséquences de la création d’Internet, du changement climatique ou encore de la circulation globale des capitaux. L’époque où un État était parfaitement maître sur son territoire est révolue. Sauf à croire, comme en 1986, que les nuages venus de Tchernobyl peuvent être arrêtés à la frontière alsacienne, aucun gendarme français ne saura, seul, empêcher la banquise arctique de fondre. De même, les djihadistes recrutés sur la toile ne résident pas forcément sur le territoire où ils produisent leurs méfaits. C’est pourquoi il faut assumer et organiser le changement d’échelle.

La coopération d’États souverains ne suffit pas à garantir un monde organisé. À force de sacraliser la souveraineté de chacun, on obtient surtout l’impuissance collective : il suffit qu’un seul partenaire ne veuille rien faire pour que la volonté d’agir s’enlise. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies en est la preuve : il est incapable de préserver la paix, même quand il s’agit de massacres de civils, comme en Syrie. Et ceux qui brandissent les armes de la dévaluation nationale et des droits de douane à nos frontières oublient que nos partenaires commerciaux pourraient se venger en dévaluant aussi leur monnaie et taxer nos produits. L’Europe des Nations ne sera jamais efficace pour les raisons qui ont conduit la Société des Nations de l’entre-deux guerres au fiasco. Il faut opposer ces précédents aux eurosceptiques qui, comme le chat de la fable de La Fontaine, font en ce moment la chattemite. Doucereux, ils font semblant d’être aussi pro européens que les autres, mais ils vendent du vent.

Enfin, pour n’être pas théorique, la souveraineté suppose des moyens d’action. Si la France sortait de l’euro, les réserves de la Banque de France seraient-elles suffisantes pour agir sur le cours du « franc” ? Rien n’est moins sûr. En 1992, un seul spéculateur, George Soros, a mis le Royaume-Uni en difficulté en attaquant la livre sterling. En matière de défense, c’est encore plus net. Comment un État de 60 millions d’habitants, désireux de préserver ses dépenses sociales, pourrait-il rivaliser avec la Chine, pays de 1,3 milliards d’habitants dont le budget militaire (officiel) augmente de plus de 10 % par an, depuis plusieurs années ?

Ce n’est pas un hasard si les domaines où l’Europe n’existe pas – la politique étrangère, la défense, la convergence fiscale et sociale – sont justement ceux où la souveraineté des États a été sacralisée. Nous avons l’Europe que nous méritons. Inutile de reprocher à l’Union sa faiblesse face à Vladimir Poutine ou sa tolérance envers le dumping fiscal. Sans procédure destinée à aplanir les divergences, sans vote majoritaire, sans suivi commun des décisions, bref sans Europe qui aille au-delà de la coopération spontanée des Nations, celle-ci est inexistante.

Dans un certain nombre de domaines, les États peuvent et doivent continuer à agir. C’est parce qu’il y a à la fois une revendication exacerbée de souveraineté et le refus de l’exercer pleinement dans les domaines où elle existe, que nos sociétés vont mal. Par exemple, si la politique nationale du logement offrait aux salariés des toits abordables, les réformes nécessaires pour accroître la compétitivité française seraient sans doute moins douloureuses. Dans d’autres domaines en revanche, y compris ceux qui ont longtemps été considérés comme régaliens, s’accrocher à une souveraineté nationale de plus en plus théorique, c’est refuser d’entrer dans la modernité.

En nous unissant à d’autres pays européens, en bâtissant un ensemble qui a la taille requise pour agir dans le monde, nous ne perdons pas de souveraineté, nous en regagnons.

 

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