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Chronique du Sud-Est N°6

Dans le contexte actuel où l’euro concentre toutes les critiques, et le jour de la publication, par le Nouvel Observateur du « procès de l’euro », il n’est peut-être pas inutile de rappeler les raisons pour lesquelles il est né.

Chronique du Sud-Est n°6 : Pourquoi l’euro ?

L’euro est d’abord un projet politique visant à rapprocher durablement les pays européens. Le chancelier allemand Helmut Kohl disait sans détours que, pour lui, c’était une question de « guerre et de paix ». Il a eu bien du courage de mener le projet à son terme, puisque ses compatriotes étaient très sceptiques. Ceux qui trouvent la zone euro trop « germanique » oublient d’où nous sommes partis : une zone mark de fait, où la Bundesbank était toute puissante, qui convenait très bien aux Allemands. Un Français, Jean-Claude Trichet a été président de la Banque Centrale Européenne ; aujourd’hui c’est un Italien, Mario Draghi. Tous les deux ont été choisis pour leurs compétences, pas pour leur passeport. Les différences de culture ont créé des dissensions dans la zone euro, c’est vrai mais sans l’euro, nous nous disputerions sans garde-fous.

Si l’objectif était de rendre les Européens inséparables, il a été atteint. La monnaie a créé une interdépendance qui a résisté à l’effroyable crise financière que nous avons traversée depuis 2007 / 2008. L’euro a été « retrempé » dans la volonté politique, comme un acier que l’on veut renforcer…
A ce propos, dissipons une idée fausse : la monnaie unique n’a pas été lancée à cause de la chute du mur de Berlin, pour faire payer aux Allemands le prix de leur unité. La France s’était engagée, après guerre, à faire revivre « l’Allemagne dans son ensemble ». La monnaie unique, on en parlait depuis des années, comme en atteste le rapport Werner des années 70. Depuis la fin du système de Bretton Woods, l’idée flottait dans l’air, comme les monnaies. Les étapes essentielles ont été franchies en 1988 / 1989 (rapport Delors, sous la direction de feu Tommaso Padoa-Schioppa). L’unification allemande n’a fait qu’accélérer le processus et mettre en relief son caractère politique.

C’est aussi un projet économique tant la monnaie est le complément naturel du marché unique. Depuis sa création, elle a joué son rôle de bouclier en mettant à l’abri des risques de change tout notre commerce avec la zone euro (en France, la majorité de nos échanges). L’euro est devenu en peu de temps une devise forte, que les banques centrales du monde entier achètent comme monnaie de réserve (à hauteur de 25 % de leurs stocks). C’est le signe que l’euro inspire confiance.
A une époque où les produits exportés (comme une voiture « allemande » ou « française ») comptent facilement 30 % de pièces ou parties importées, cette force constitue aussi un atout.

L’euro est aussi un instrument destiné à sortir la gestion de la monnaie du champ des petits jeux politiciens. Il évite la dévaluation et l’inflation qui sont l’opium des politiciens à courte vue. Certains s’en plaignent. Ils ont la mémoire courte : bien des gouvernements, dans les années 80 / 90 ont mis l’avenir en péril à coup de dévaluations qui n’avaient de compétitives que le nom. La facilité de la dévaluation a plus retardé les réformes qu’elle ne les a accompagnées. Pour ceux que cette argumentation, inaudible en France, intéresse, je conseille la lecture du discours de Mario Monti à l’Institut de France le 5 mai dernier. Décapant…

Enfin, la volonté de posséder une monnaie globale, de taille à rivaliser un jour avec le dollar, était très présente dans l’esprit des créateurs de l’euro. Nous achetons en dehors d’Europe une part importante de notre énergie, de nos matières premières et de nombreux biens de consommation. Grâce à l’euro, nous sommes et resterons dans le club des grandes monnaies mondiales, avec les Américains et demain les Chinois. La France, seule n’y serait pas.

La zone euro a traversé une crise extrêmement grave qui a mis en relief ses failles de construction. Je le nierai d’autant moins que le Parlement européen a consacré beaucoup d’efforts à les colmater (avec la réforme de la gouvernance de la zone euro, dans le 6 pack) comme à compléter la panoplie d’outils existants (en donnant par exemple à la Commission européenne des pouvoirs nouveaux, plus intelligents, de contrôle des déséquilibres macro-économiques). Il reste encore beaucoup à faire pour que l’euro redevienne une zone de prospérité et de croissance, plus légitime mais des améliorations sont en cours. D’autres sont possibles ; et le rythme auquel l’impensable (le contrôle commun et l’encadrement strict de toutes les banques par exemple) est devenu possible, m’encourage à rester optimiste.

Vouloir « casser l’euro» ou « en sortir », c’est tout simplement oublier les raisons pour lesquelles nous l’avons fait et qui restent valables.

Sylvie Goulard

 

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