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Chronique du Sud-Est N°7

Après avoir rappelé hier les raisons qui ont conduit à créer la monnaie unique, voici des arguments qui justifient de conserver l’euro.

Chronique du Sud Est n° 7 – Pitié pour Iphigénie !

Le débat public sur l’euro tourne au mauvais «remake » d’Iphigénie, la tragédie d’Euripide dans laquelle Agamemnon, bloqué au port par le calme plat, décide de sacrifier sa fille Iphigénie. Le bateau France n’avance plus, la zone euro souffre d’une faible croissance ? Pour sortir de la crise et lever les voiles, égorgeons cette monnaie, source de tous nos maux et les vents redeviendront favorables. Cette approche est aussi dangereuse qu’elle est archaïque.

Comme nous l’avons montré dans la chronique précédente (n° 6 Pourquoi l’euro ?), la plupart des raisons qui nous ont conduit à adopter la monnaie unique restent valables.

Mais surtout, la France n’en sortirait pas grandie. L’abandon de l’euro marquerait aux yeux du monde l’incapacité des Européens à mener à bien leur plus grand projet des dernières décennies. L’Allemagne, forte de ses performances, s’en sortirait sans doute avec l’image du partenaire sérieux qui s’est fourvoyé. L’histoire retiendrait que la France est incapable de tenir parole et d’engager des réformes que des pays latins comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal ont lancées.

En donnant à la monnaie une place exagérée, les grands prêtres du sacrifice oublient que nous avons bâti une union économique et monétaire. La capacité d’un pays à produire et exporter dépend avant tout de facteurs non monétaires : la qualité de sa main d’œuvre, l’innovation et l’attrait des produits, le niveau des charges sociales, le marketing et le service après-vente. Tout attribuer à l’euro, c’est oublier l’essentiel. Quand l’Allemagne vend des BMW, elle ne vend pas une certaine quantité de « véhicule » en euros. Elle vend des voitures solides et élégantes qui font rêver leurs acquéreurs.

Sans compter que la « sortie de l’euro » ne serait pas un chemin pavé de roses. Une monnaie, c’est avant tout de la confiance et de la stabilité, au service des échanges. Créer des incertitudes, pour ne pas dire du chaos, serait préjudiciable à l’activité économique. L’institut Montaigne (indépendant) qui a tenté d’en chiffrer le coût, arrive à des évaluations astronomiques.

Les Français y perdraient aussi leur liberté car il est impossible d’imaginer l’abandon de l’euro sans contrôler la circulation des capitaux, ni fermer les frontières. Sinon, il est évident que les détenteurs d’euros transfèreraient leurs avoirs vers les pays du Nord de l’Europe avant que ne s’opère le basculement. Les riches, bien informés, s’en tireraient mieux que les personnes n’ayant pas accès aux mêmes informations. Et les spéculateurs s’en donneraient à cœur joie.

Les dettes des États, comme celles des entreprises, augmenteraient lourdement : la dévaluation les obligerait à rembourser dans une monnaie dévaluée (puisque tel est le but de la manœuvre), les prêts contractés en euros. Nul ne sait d’ailleurs quelle serait l’ampleur de la dévaluation. En Argentine, lors du décrochage avec le dollar, celle-ci a été beaucoup plus forte que prévu.

Les ménages perdraient du pouvoir d’achat, notamment parce que le prix des biens importés augmenterait. Les PME devraient affronter de nouveau des risques de change et des dévaluations « compétitives » chez nos partenaires. Curieusement, ce sont en général ceux qui dénoncent le plus vivement le « dumping » social et fiscal entre pays européens qui prônent de revenir à ce qu’il faut bien qualifier de… «dumping» monétaire.

Au total, le « sacrifice » de l’euro est une voie hasardeuse. En 2014, le temps des victimes expiatoires est passé. Pitié pour Iphigénie qui, dans la tragédie grecque, est finalement épargnée.

Sylvie Goulard

 

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