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Chronique du Sud-Est N°9

Quand on participe à une compétition de natation, on s’attend à devoir nager. Les plus sérieux se sont entraînés, en piscine, en mer. Pour aller plus vite, plus loin, ils se sont même exercés avec des palmes. Mais encore faut-il que la course reste, jusqu’à la fin, une épreuve aquatique. La campagne pour les élections européennes ressemble à une épreuve de natation qui se serait transformée en course à pied, avec palmes.

Parler vraiment d’Europe ? Vous n’y pensez pas. Plusieurs candidats, y compris des têtes de liste, n’ont jamais trempé un orteil dans l’eau européenne, ni pris la peine de se plonger dans « La natation pour les Nuls ». Parce qu’ils ne savent pas nager en haut profonde, ils restent à terre. Et ils inventent.

L’enjeu est ramené à une bataille droite / gauche, comme si le Parlement européen était élu au scrutin majoritaire. Le sens bruxellois du compromis, si fécond, est tourné en dérision. Quand on voit la brillante situation économique et sociale de la France, friande de confrontation bipartisane, il y a de quoi se moquer des autres, en effet. Le fait que l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni,  gouvernés par des coalitions, améliorent leurs performances, devrait faire réfléchir. Mais nous n’allons tout de même pas parler « d’étrangers » dans une élection européenne ! Quant à ceux qui ciblent François Hollande, ils oublient manifestement que le Président de la République nous représente au Conseil européen. Souhaiter son affaiblissement, en cours de mandat, voilà qui est bien peu républicain.

La plupart des maîtres nageurs font la sieste. Ils n’ont pas vu que la course quittait le plan d’eau. Les institutions européennes n’ont pas bien expliqué leur action. Le moindre soda sans sucre a droit à plus d’affiches et de spots télévisés que la démocratie européenne. Les (innombrables) ministres des affaires européennes français de ces dernières années n’ont guère fait savoir que les pouvoirs des élus européens ont été accrus depuis le dernier scrutin de 2009. Le ministre de l’intérieur français a-t-il au moins fait connaître les modalités du vote ? Non. Sur le terrain, il n’est pas rare d’entendre « il y a trop de listes, je voterai au 2ème tour ». Et pourquoi tant de listes ? Il serait temps d’inventer un filtre équitable, comme pour l’élection présidentielle, afin d’éviter les abus.

Dans la dernière ligne droite, le Président de la République, dans une tribune au Monde, plusieurs magazines, la télévision se sont mobilisés, mais c’est bien tard. Tant de journalistes qui, cinq années durant, se sont désintéressés de l’Europe, et n’ont jamais raconté ce qui se passe à Bruxelles, osent, la bouche en cœur, demander : « comment expliquez-vous que les Français ne s’intéressent pas plus à l’Europe » ?

Certains ratent même leur ultime occasion de parler du fond, en centrant les interviews sur les seuls sondages. Même quand un travail sérieux est fait, le ton est négatif : faut-il vraiment faire le « procès » de l’euro, comme Le Nouvel Observateur ? Pourquoi pasun débat tout simplement ? Le 25 mai, on n’élit pas des juges européens mais des députés.

La raison compte moins que le fameux « ressenti ». Personne ne demande à ceux qui proposent la sortie de l’euro, d’expliquer comment ils s’y prendraient. C’est « trop technique », m’a-ton dit dans un panel. Ce n’est pourtant pas un détail !  Un journaliste d’un grand quotidien parisien s’est étonné que je présente la dévaluation, pseudo remède miracle, comme une perte de patrimoine et de pouvoir d’achat ainsi qu’un surcoût pour les dettes. La dévaluation, une perte de valeur ? En voilà un scoop !

Le décompte auquel se livrent les médias est très confus. Aux invitations succèdent souvent, avant l’émission, une « désinvitation », en fonction d’une arithmétique opaque. La terreur du CSA et de son trébuchet conduit les médias à privilégier les responsables nationaux sur les candidats. Et tant pis si, à quelques jours du scrutin, on parle moins d’Europe ! Si, la semaine avant la présidentielle de mai 2007, les médias avaient convié François Hollande, alors premier secrétaire du PS, au lieu de Ségolène Royal, la candidate en titre, cela aurait sans doute surpris. Quand il s’agit d’Europe, rien de baroque ne choque.

Tout est fait pour que le débat soit sans prise avec la réalité européenne, cette hautemer inconnue. Les contraintes de la mondialisation et de l’économie de marché sont gommées. De même, il n’y a pas grand monde pour dire que, si le « dumping social » est inacceptable, le niveau des charges sociales en France ne l’est pas moins, ce qui encourage le recours aux travailleurs détachés d’autres pays. Parmi les personnes promptes à dénoncer les affreux abus tolérés par l’Union européenne, il en est d’ailleurs qui font rénover leur appartement par des Polonais.

La grandeur et la servitude du travail d’influence, disparaît derrière du « tout ou rien », sans parler des incantations sur « la volonté politique ». S’ils allaient plus souvent à Bruxelles ou à Berlin, ceux-là sauraient que « volonté politique », dans les autres langues, cela se traduit par « travail » et « performances ».

Sans le marché intérieur, et la liberté qu’il accorde, bien des entreprises françaises n’auraient pas pu racheter des sociétés italiennes ou britanniques, y compris stratégiques. En pleine campagne européenne, le gouvernement aurait pu le rappeler. Mais l’heure est aux initiatives « patriotiques » de M. Colbert junior. Si la nostalgie du Grand Siècle se poursuit, je vais finir à la Bastille, avec mes palmes.
                                                                                                                                                                                          Sylvie Goulard
 

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