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« On ne peut pas simplement dire « chez les autres, d’accord, mais pas chez nous » »

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Quelques heures après la conférence de presse de François Hollande, François Bayrou a affirmé ce soir au micro de Ruth Elkrief que le chef de l’Etat n’avait avancé aucun « élément nouveau », notamment sur la politique internationale et la politique intérieure.

Ruth Elkrief – Bonsoir François Bayrou. Merci de répondre à nos questions en direct de votre ville, Pau. Vous êtes président du MoDem et donc maire de Pau. D’abord un mot sur l’ensemble de la conférence de presse : comment avez-vous trouvé le Président Hollande, son ton, ses annonces ?

Sur la forme de la conférence de presse, c’est un exercice dont on connaît bien, maintenant, les contours, le cérémonial et les rites. De ce point de vue là, c’était tout à fait habituel et bien du point de vue de la forme sans doute. On peut d’ailleurs se demander si cet exercice correspond exactement au type de communication que les Français voudraient et attendraient. Sur le fond – le sujet qui nous intéresse -, il y a beaucoup d’insatisfaction, j’imagine, parmi ceux qui écoutent, d’abord sur la politique internationale et ensuite sur la politique intérieure. J’ai trouvé qu’il n’y avait rien de novateur, pas de changements profonds bien que l’on ait annoncé à grands sons de trompes qu’on allait voir des éléments nouveaux – moi, je n’ai pas trouvé d’éléments nouveaux – mais j’imagine que nous allons en parler sujet par sujet.

Effectivement, on parle de la crise des migrants ou des réfugiés. La France accueillera 24 000 réfugiés au cours des deux prochaines années – des Syriens, des Irakiens, des Erythréens – dans des lieux d’accueil temporaires et un préfet a été nommé coordinateur national. Approuvez-vous ces initiatives ? Trouvez-vous qu’il faut pouvoir prendre, même à revers – en quelque sorte – l’opinion publique française qui n’est pas très favorable aujourd’hui ?

Je ne crois pas que cette annonce – même si elle se réalise et j’attends de voir – répondra à la question et résoudra le problème. Mais si l’on prend le chiffre de 24 000, ce chiffre est raisonnable. Si je fais un calcul rapide, pour l’ensemble de la France, cela veut dire pour le département qui est le mien – celui des Pyrénées-Atlantiques – 240 chômeurs, c’est le centième de la France. 240 migrants.

C’est un lapsus, François Bayrou ? Cela voudrait dire que l’accueil des migrants ferait 240 chômeurs de plus ?

C’est un lapsus. Mais bien sûr, il y a des problèmes de logement, d’école et de travail, et de ressources – tout le monde le sait. Mais 240 pour les Pyrénées-Atlantiques, cela veut dire, à peu près, 60 pour l’agglomération de Pau qui représente le quart du département. C’est tout à fait raisonnable et si l’on a une gestion qui est une gestion humaine, convenable, c’est tout à fait soluble. Ce chiffre est acceptable. Est-ce que ce chiffre suffira ? Je crois qu’il ne résoudra pas la question, je pense qu’il y aura beaucoup plus de candidatures, beaucoup plus de réfugiés qui voudront s’échapper de leur pays et c’est pourquoi je pense qu’il faut une autre solution que celle-là. J’ai proposé que l’on institue des zones protégées dans les pays d’où les migrants viennent, des zones protégées pour le refuge et que l’on y organise la vie parce que ce n’est pas chez nous, ce n’est pas dans les pays européens et occidentaux que nous allons pouvoir accueillir des millions de personnes. Or, vous le savez, si l’on prend les seuls Syriens, alors ce sont des millions de personnes qui sont déjà parties.

Vous le dites, 60 personnes pour Pau, c’est acceptable. L’Allemagne, on l’a vue, fait une haie d’honneur en quelque sorte aux réfugiés et pourtant en France les sondages montrent que les Français y sont réticents. Marine Le Pen dit « notre pays n’a pas les moyens, ni l’envie, ni l’énergie d’être plus généreux avec la misère du monde » et elle dit qu’aujourd’hui le Front National est la boussole des Français. Est-ce vrai ?

Je pense que Marine Le Pen surfe sur des peurs, qu’elle essaie d’ailleurs d’amplifier, de provoquer et ces peurs là, évidemment, sont répandues donc c’est électoralement quelque chose qui naturellement est porteur pour elle ! Mais si vous regardez la réalité en face, les devoirs qui sont les nôtres comme Français et simplement comme membres de la même humanité alors il y a des choses que l’on ne peut pas dire et des refus que l’on ne peut pas prononcer. De mon point de vue, la réaction qui est celle de l’extrême-droite, on la connaît bien et on l’attend, mais c’est une réaction qui n’est pas celle que des citoyens français – avec un sens civique – doivent avoir.

Qu’avez-vous pensé de François Baroin, le maire de Troyes, qui, a priori, refuse d’avoir des réfugiés ? Du maire de Roanne qui ne veut que des réfugiés chrétiens ? Est-ce que vous comprenez ces attitudes diverses ?

Non, je ne les comprends pas.

Vous les condamnez ?

Vous savez, donner des leçons de morale est toujours une tentation pour les responsables publics. Mais, moi en tout cas, je ne veux pas m’y livrer. Chacun a la responsabilité de la communauté qui l’a élu, chacun a la responsabilité de son avenir et chacun est maitre de ses propos. Je pense que l’on ne peut pas simplement dire « Pas chez nous ». « Chez les autres, d’accord. Chez les voisins, d’accord. Chez les Italiens, d’accord. Chez les Grecs, d’accord. Chez les Turcs, d’accord. Chez les Allemands, autant qu’ils veulent mais chez nous, non », et bien ceci est, pour moi, impossible à affirmer si l’on est simplement responsable.

Sur les frappes françaises qui sont annoncées par le Président, sur la Syrie et plus seulement sur l’Irak, est-ce que c’est une bonne initiative ? Et est-ce que, par conséquent, il faut se préparer à parler avec les Russes, avec les Iraniens ? Et, dans le fond, accepter, d’une manière ou d’une autre, d’évacuer la question de Bachar el-Assad pour mieux concentrer l’offensive sur Daech en Syrie ?

Alors, dans ce que vous avez dit, il y a plusieurs choses. La première : vous dites qu’il annonce des frappes. Non, ce que François Hollande a annoncé – cela m’a d’ailleurs beaucoup surpris et fait un peu sourire – ce sont des vols de reconnaissance aériens. Franchement, je n’imagine pas que la France n’ait pas des moyens de reconnaissance aériens déjà déployés dans cette région, notamment les satellites qui sont en orbites et qui sont capables, vous savez, de repérer des détails de 40 cm de long, ou bien des drones. J’imagine que nous avons des drones qui prennent des photos, et quant à la l’argument sur lequel on va surveiller d’éventuels candidats à des attentats en France par des reconnaissances aériennes, je ne suis pas sûr que l’on puisse davantage reconnaître qui et de quelle nationalité il peut être.

Est-ce que vous approuvez les vols et éventuellement les frappes ?

Cet argument n’a qu’une signification – ce n’est pas un argument en soi – qui est de préparer l’annonce de frappe. Et si François Hollande avait annoncé de but en blanc l’annonce, cela aurait été plus clair, moi en tout cas je l’aurais approuvée. Je pense qu’il faut que les moyens soient réunis chaque fois que l’on se trouve devant un risque majeur identifié. Je pense qu’il faut mettre ce que l’on peut dans l’action commune pour essayer de les réduire. Et il me semble qu’il y avait un consensus possible en France sur ce sujet.

J’ai une dernière question, François Bayrou et on se quitte juste après. Deux milliards de baisse d’impôts pour 2016 pour huit millions de foyers financés par des économies. Est-ce une bonne nouvelle ?

C’est une fois de plus une promesse et c’est une promesse qui repose largement sur des illusions et sur du vent. Dans un pays qui a un déficit aussi considérable que le nôtre, quand on fait des promesses de cet ordre, il faut poser la question de savoir comment on les finance et on les financera par du déficit nouveau ou de la dette nouvelle. Je pense que les impôts sont très mal répartis en France, je pense que le recours massif à l’impôt qui a été celui de la majorité, du gouvernement depuis qu’il est élu, est une très mauvaise chose. Mais je ne crois pas beaucoup aux promesses que le Président de la République ou que les responsables du gouvernement font parce que la hotte du Père Noël est vide. Donc faire croire aux gens que l’on a, de nouveau, les moyens de faire des cadeaux, de distribuer, je pense que c’est une illusion et c’est une manière de les tromper.

Merci beaucoup, François Bayrou, d’avoir été avec nous en direct depuis Pau.

 

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