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« Si on identifie un risque mortel, alors on s’engage ! »

François Bayrou, président du MoDem, a appelé mercredi sur LCP à « faire barrage » au Front national au second tour des élections régionales, estimant que les idées qu’il porte sont « des poisons mortels ».

L’interview de François Bayrou commence à la 33ème minute.

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Bonjour François Bayrou.

Bonjour.

Nous sommes à six semaines des élections régionales. Hier, Bernard Accoyer s’est montré prudent pour la droite, avec qui vous avez fait alliance. Vous, quel est votre diagnostic ?

Je partage ce sentiment de prudence et même d’inquiétude. Je trouve que le climat en France est un climat épouvantable et je ne suis pas sûr que les électeurs soient motivés pour aller participer à cette élection. S’il y a beaucoup d’abstentions, comme cela est à craindre, alors on sait qui vote : les noyaux les plus durs, et de ce point de vue, je pense qu’il y a, en effet, du souci à se faire.

Cela veut dire que, pour vous, le FN est en passe de remporter des régions ? Cela vous paraît possible ?

Non, je ne veux pas le dire sous cette forme, vous voyez bien que si l’on fait des déclarations de cet ordre c’est en réalité un encouragement ! Ce n’est pas du tout ce que je pense. Je pense que dans la situation où la France se trouve, si l’on a à désigner ou à montrer les risques que le pays court, alors l’extrémisme est un risque très important, dominant tous les autres. Mais il ne faut pas se dissimuler que les Français sont très amers, très à cran en raison de la manière dont la France est gouvernée depuis longtemps, et à juste titre.

Vous aussi, vous renvoyez gauche et droite dos à dos ?

J’essaie de ne pas avoir de sentiments ou de jugements simplistes. Je pense qu’il y a une responsabilité partagée depuis des années et des années – et depuis peut-être 15 ans – sur la manière dont le pays a été gouverné. Le pays a été mal gouverné et les décisions n’ont pas été prises. On a été incapable de montrer un chemin, de montrer un cap, de dire où l’on allait, la vie politique est devenue grise et lassante. Il n’y a plus de débat, le Parlement – vous êtes bien placée pour le savoir – ne joue pas ce que l’on devrait en attendre, c’est-à-dire le lieu où s’expriment les sentiments des Français. Tout cela est à changer en profondeur.

Ce que vous nous dites, c’est que droite et gauche ont échoué, que vous ne souhaitez pas que le Front national puisse arriver au pouvoir, cela veut dire qu’il y a peut-être pour vous un espace exceptionnel pour 2017. Vous allez défendre les couleurs du MoDem ?

Je n’emploie jamais ce type de jugement ou ce type de phrase, parce que dire « il y a un espace », c’est considérer la vie politique comme un jeu ou comme un sport et ça n’est pas du tout cela. Je pense que la France a profondément besoin de changer sa manière de gouverner. Je vous assure que si l’on avait un sondage instantané, que tous ceux qui sont derrière leur écran et qui vous regardent en ce moment, s’ils avaient à voter « oui » ou « non » à cet immense besoin de changement, ils voteraient « oui ».

Mais vous ne faites pas ce constat pour voir les autres se présenter à la présidentielle. Cela veut dire que vous voulez défendre votre projet.

Je vais exactement là où vous voulez m’entrainer : il y a un immense besoin de changement. Est-ce que ce changement peut être incarné par des personnalités qui sortent un peu du jeu des partis traditionnels ? Parce que le jeu des partis traditionnels – des deux partis – nous a entrainés là où nous sommes… Des personnalités qui sortent un peu de ce jeu peuvent-elles changer les choses ? Je crois que oui. Je crois que quelqu’un comme Alain Juppé est quelqu’un qui peut nous montrer une nouvelle manière de gouverner.

C’est quelqu’un qui incarne le parti depuis très longtemps, qui incarne le système depuis très longtemps, Alain Juppé.

Je ne crois pas. Peut-être que, autrefois, il a été responsable de parti mais il n’y a pas de honte. Je pense que son attitude et son approche sont plus ouvertes, plus compréhensives, plus respectueuses de ce qu’est la société française et peut-être peut-il apporter ce qui permettra de changer la manière de gouverner le pays.

Quelles sont ses chances pour la primaire, selon vous ?

La primaire est un exercice, vous savez, qui pose beaucoup de questions, sur lequel j’ai des inquiétudes, parce qu’il suffit de regarder les primaires américaines en ce moment même pour la partie droite de l’électorat américain. Ce sont des primaires qui poussent à l’excès, au plus rugueux, au plus agressif. De ce point de vue, c’est un système qui ne correspond pas à ce que je crois être la Ve République. En tout cas, je suis absolument sûr que De Gaulle – le fondateur de la Ve République – n’aurait jamais approuvé un système de cet ordre.

Et pourtant vous voulez vous ranger derrière Alain Juppé, cela veut dire que vous excluez toute candidature aujourd’hui ?

Je dis que si l’on avait une possibilité avec un homme comme Alain Juppé de changer la manière de gouverner la France, j’en serais heureux et je le soutiendrais.

Pour 2017, au sein de la droite, il y a un climat qui est assez nouveau dans l’opinion. Est-ce que vous souhaitez un climat nouveau dans l’opinion ? Est-ce que Nicolas Sarkozy, s’il sort vainqueur de la primaire, vous le soutiendrez ?

Vous savez bien que j’ai avec Nicolas Sarkozy une différence de point de vue qui assez fondamentale.

Irréconciliable ?

Si c’était le résultat de la primaire, je serais libre et j’exercerais cette liberté.

Avant la présidentielle, il y a les régionales. Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut faire au soir du premier tour ? Est-ce qu’il faut faire le front républicain ? Tous contre le FN, le désistement républicain ? Éventuellement des fusions de liste ? Quelle est, vous, votre stratégie ?

Je pense qu’il faut identifier quel est le risque. Je ne parle pas des régions, je ne parle pas d’une élection intermédiaire, mais si je regarde les années qui viennent ou les décennies qui viennent, alors ce que le Front national porte comme idées et comme solutions pour le pays, je considère que ce sont des poisons mortels. Cela ne veut pas dire que ces quelques six millions de Français ou cinq millions de Français – je ne sais pas combien ils sont – sont en eux-mêmes mortifères, ce n’est pas cela l’idée. Mais que l’on entraine toutes ces femmes et tous ces hommes à croire que la solution de sortir de l’Europe, de sortir de l’euro, de fermer le pays est une solution pour l’avenir, alors cela c’est mortel.

Alors qu’est-ce que l’on fait ?

De ce point de vue, si l’on identifie un risque mortel, alors on s’engage. Et il revient aux responsables des différents courants du pays de dire que, au second tour, il faut voter pour celui qui pourra faire barrage au Front national, à condition que…

Donc vous êtes pour le front républicain.

Je ne sais pas si cela s’appelle le front républicain, ce sont des mots que les journalistes, les politologues ont inventés. Je suis pour qu’il y ait une prise de conscience et un engagement de tous ceux qui agissent en Français démocrates et républicains, et qui surtout partagent une certaine idée de l’avenir d’un pays qui ne se ferme pas et dans lequel on ne véhicule pas ces obsessions qui sont les obsessions, vous savez, sur le thème de l’origine, de la religion et de toutes ces choses. Parce que ces obsessions sont mortelles ! Je suis profondément amoureux de la France, je suis amoureux de sa langue, je suis amoureux de son histoire, c’est une partie de moi et je ne veux pas voir la France en arriver à ces déchirements intérieurs. Cette obsession de l’affrontement « D’où viens-tu ? On va te renvoyer chez toi », ou bien « De quelle religion es-tu ? Cette religion nous menace » ; toutes ces choses-là je les connais très bien, j’ai écrit trois livres sur les guerres de religion en France, je sais très bien où cela commence et comment cela finit. Je n’ai pas envie de voir mon pays être emporté dans cette vague-là, même si c’est sur un fond de désespoir et je vois très bien de quel désespoir il s’agit.

On voit donc bien votre stratégie. Je vous propose que l’on écoute Jean-Christophe Cambadélis, qui vous met en cause ce matin – pas seulement vous – sur cette stratégie. On l’écoute :

« Juppé est le grand absent de ce moment. Pourquoi on ne l’entend pas ? Alors qu’il y a un débat qui a l’air de passionner la presse, on ne l’entend pas. On n’entend pas Monsieur Bayrou, on n’entend plus Monsieur Fillon dire qu’il faut choisir le moins pire entre le Front national et le reste (…) Aujourd’hui, on n’entend personne ».

Vous avez donc répondu à Jean-Christophe Cambadélis.

Et bien, on vient de m’entendre et je veux rappeler que c’est Monsieur Cambadélis lui-même – si je ne me trompe pas – qui, il y a quelques jours, a dit que jamais il n’y aurait de désistement ou de décision du Parti socialiste, que le Parti socialiste se maintiendrait partout.

Il a dit que le front républicain est mort, aussi.

Voilà, c’est exactement cela. Donc, d’une certaine manière, il y a un paradoxe, quelque chose de surprenant à entendre Monsieur Cambadélis s’exprimer de la sorte. Je voudrais que chacun prenne ses responsabilités, je les prends à votre micro.

Alors, après les régionales, il y a une stratégie pour François Hollande qui semble être candidat, en tout cas de penser très fort à 2017, qu’est-ce que vous lui conseillez ? Visiblement il y a deux scénarios qui sont sur la table, qui seront peut-être dévoilés en conseil des ministres, l’un est d’accélérer les réformes – sociales, libérales – l’autre est de donner un coup de barre à gauche pour rassembler son camp.

Je n’ai pas de conseil à lui donner. Pour moi, François Hollande a déçu profondément tous ceux – des millions de Français – qui espéraient que peut-être il y aurait une approche nouvelle, que peut-être le Parti socialiste changerait ses habitudes, sa manière d’être, que peut-être on ferait entendre au pays des choses raisonnables. Cela n’a pas eu lieu. Je faisais un calcul à l’instant : j’entendais sur les radios ce matin dire « Le CICE est un grand succès » : le CICE a coûté 13 milliards d’euros en 2013, 20 milliards d’euros en 2014, cela fait 33 milliards – je ne dis même pas en 2015, c’est encore plus. Et on dit « Il y a eu 140 000 emplois créés », je sais bien que le calcul mental est aujourd’hui une discipline complètement disparue mais si je fais une division de tête, entre 33 milliards et 140 000 recréés, on arrive à plus de 200 000 euros par emploi. Je sais bien aussi qu’il y a eu des emplois sauvés, probablement, mais vous voyez… J’ai cru aux promesses que François Hollande avait faites. Je vous les rappelle : dès la première année, le déficit tombera au-dessous des 3 %, dès 2016 on sera à l’équilibre – c’était une promesse -, la courbe du chômage, le changement de la vie politique, le fait que le Président de la République ne s’intéresserait plus ou en tout cas ne ferait plus de politique partisane à l’Elysée… Toutes ces choses-là étaient des engagements formels. Il n’en a respecté aucun pour dire la vérité. Donc, de ce point de vue, c’est François Hollande lui-même qui s’est mis dans la situation qui, à mon avis, le rend inéligible pour l’élection présidentielle qui vient. Il faut bien qu’à chaque faute il y ait sanction.

Merci beaucoup François Bayrou.

 

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