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« J’ai fait cette offre d’alliance inédite car il faut changer le paysage politique »

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Ce matin, le président du MoDem était l’invité de la matinale de RTL et a eu l’occasion de préciser les modalités de son alliance avec Emmanuel Macron.

Pour regarder l’interview, suivre ce lien.

Merci François Bayrou d’être dans ce studio au lendemain de la surprise que vous avez provoquée dans le paysage politique français. La nuit porte conseil, dit-on. Vous regrettez ce soir d’avoir renoncé, ou c’est le bon choix ?

Je n’agis pas sur un coup de tête. J’ai fait à Emmanuel Macron une offre d’alliance inédite dans la vie politique française, parce que je pensais qu’il était très important de changer le paysage politique. Je le pense depuis quinze ans.

Je me suis battu toute ma vie pour qu’on sorte de ce monopole à deux, qui était exercé par le Parti Socialiste d’un côté et le courant politique de droite, UMP puis Les Républicains, qui à eux deux, rassemblent moins ou à peine 30% des voix. Ils ont pourtant la totalité de la vie politique entre les mains.

Ce qui veut dire que 70% des Français, les deux tiers, sont exclus de la représentation. Pour cela, il fallait que s’édifie, se construise une crédibilité d’un courant politique central. J’y ai travaillé pendant longtemps. Nous avons failli y arriver en 2007.

Cette fois-ci, le fait qu’Emmanuel Macron et moi soyons sur le même terrain politique, avec des différences, entraînait une conséquence : le deuxième tour aurait été pour les Français impossible entre des candidats de gauche ou de droite et Marine le Pen, qui permettait l’idée de cette élection.

J’ai voulu l’unification de ce courant politique. La décision que j’ai prise est évidemment la condition de cette création.

Cette décision coûte à vos proches, vous l’avez dit. Cela vous coûte, à vous ?

Oui, c’est un petit sacrifice. Il y a des choses plus importantes.

Est-ce que votre égo en a pris un coup ?

Sûrement pas. Je ne réagis pas sous cette forme-là.

Je suis engagé politiquement, passionné politiquement. J’ai toujours fait passer mes idées avant mes intérêts. J’ai fait des sacrifices assez lourds, simplement parce que je pensais qu’il y avait des décisions à prendre et qu’il fallait les prendre.

Cela m’a valu, comme vous dites, des traversées du désert qui n’ont fait que me renforcer dans cette idée.

Tout le monde a dit : « les campagnes présidentielles, c’est le moment de François Bayrou. Il n’y résistera pas, il va céder à la tentation ». C’est une forme d’effacement ?

Vous voyez que tout le monde se trompe ! Ce n’est pas une forme d’effacement mais d’abnégation. Je ne retiens pas mes intérêts, je vais dans le sens de ce que je crois être l’intérêt général.

Au contraire, cela donne aux idées qui sont les miennes, une force, une crédibilité.

En politique, les mots sont une chose et les actes en sont une autre.

Les mots, cela rentre dans une oreille et sort par l’autre. Nous en avons tellement entendu, des belles phrases. Mais les actes qui montrent qu’on peut aller jusqu’au bout de sa logique, c’est autre chose.

Quand avez-vous pris cette décision ?

J’ai pris cette décision il y a un à peu près une semaine.

Vous en avez parlé, ou vous l’avez prise avec vous-même, dans l’intimité ?

Je l’ai prise avec moi-même, il y a environ une semaine, parce que j’ai vu vers quoi se dirigeait cette élection : un très grand désordre pour les gens, des offres politiques tellement désordonnées que les Français n’y retrouvaient pas ce qu’ils attendaient.

Il m’a semblé qu’il fallait un geste suffisamment fort, qu’on renverse la table pour que cette élection ne ressemble pas au jeu de dupes qu’elle était en train de devenir.

Quand vous faites cette proposition à Emmanuel Macron avant de l’annoncer, quels sont ses mots ?

Je pense qu’il a été touché, on va dire.

Il vous a remercié, du coup ?

Oui, mais ce n’est pas sur le mode du remerciement que j’attends les choses.

Il était dans une passe un peu difficile. Le sentiment qu’il a eu, je pense, c’est que nous étions dans un moment très important pour lui et pour le changement de la vie politique française.

Sur tout ce que vous avez dit sur Macron… « hologramme », « candidat des grands intérêts financiers » etc. Les gens se disent que vous êtes une girouette ?

Certains phrases ne sont pas de moi. Il y a des phrases que j’ai dites.

Par exemple, « hologramme », ce n’est pas la pire insulte qui soit. Si dans ma vie, j’avais seulement été insulté d’hologramme, je me sentirai confortable.

Le risque de voir des grands industriels et financiers prendre le contrôle ou essayer de prendre le contrôle, jouer un rôle surestimé, surdéterminé, dans les choix politiques du pays, est un risque très important.

Ce risque très important, je l’ai conjuré en indiquant qu’une des exigences de cette alliance, c’était la rédaction et le vote d’une loi sur la moralisation de la vie publique.

N’avez-vous aucun doute sur la probité d’Emmanuel Macron ? Lui avez-vous demandé des assurances ?

Je n’ai jamais imaginé quelque chose sur la probité. Si l’on pense qu’il y a des problèmes de probité, alors on tire l’échelle. Jamais je n’ai eu ce genre de sentiment.

J’ai exigé, souhaité qu’il y ait une loi de moralisation de la vie publique car depuis longtemps – on a là des exemples désastreux sur d’autres rives – il y a de grandes pressions pour que de très grands intérêts privés, industriels, financiers, bancaires et que sais-je encore, prennent le pas sur la décision politique.

La loi que je souhaite, qui est une loi dont nous avons besoin en France avec le même degré de rigueur que les autres pays européens, c’est une loi dont le premier objet sera d’interdire, de rendre impossible, de sanctionner les conflits d’intérêt, c’est-à-dire l’influence directe de groupes puissants.

Qu’est-ce qui serait interdit, sur la base de cette loi ?

Par exemple, le fait que de très grandes entreprises ne puissent pas se payer ou appointer des responsables politiques pour rédiger les lois ou pour aller dans le sens que l’on souhaite.

Cela vous a choqué que N. Sarkozy aille à AccordsHotels ? Il est retraité de la vie politique française.

Non, je ne visais pas du tout N. Sarkozy. On a bien le droit, quand on a quitté la politique, de faire ce que l’on veut. Je ne suis pas un Torquemada !

Mais par exemple, j’ai été choqué que l’ancien président de la Commission européenne soit ainsi embauché.

Vous n’étiez pas le seul.

Tout cela doit être clarifié pour que la vie politique française soit mise à l’abri de ces soupçons. J’ai toute ma vie dit ceci : la vie politique doit être transparente, doit se jouer au vu et au su des citoyens. Les décisions qui sont prises doivent l’être pour des raisons que tout le monde connaîtra et non pas, comme c’est trop souvent le cas et je me suis si souvent battu contre, se jouer derrière le rideau avec de puissantes interventions dont le citoyen ne connaît rien, des lobbys de toute matière et de toute composition, qui font que le jeu politique est un jeu de dupes.

On est devant la scène, on a des marionnettes et ces marionnettes sont en réalité agitées par des puissants intérêts.

Je ne supporte pas cela et je ferai en sorte dans cette alliance que cela devienne impossible.

Et vous ferez en sorte que cette loi soit en tête du projet d’Emmanuel Macron.

C’est ce qu’il a accepté hier soir.

Quelle est la contrepartie ? Vous lui apportez votre expérience, votre ancrage territorial, votre capital électoral. Ce serait équilibré que l’on sache, puisque vous parlez de transparence, ce qu’il vous donne en contrepartie ?

Peut-être que cela va vous étonner, mais je ne pratique pas ce genre de marchandage.

Vous ne prenez pas un risque ?

Non. Je pense au contraire qu’en politique, il n’y a que les dynamiques qui comptent.

Quand vous créez un mouvement, un entraînement, quand les gens s’y reconnaissent, alors vous avez toute votre place et cette place est tout-à-fait essentielle.

Vous comptez sur lui pour vous faire une place ? Quel rôle voulez-vous jouer ?

Je n’ai pas besoin qu’on me fasse une place. La place qui est la mienne, je l’exerce, je la prends, je l’occupe simplement parce que ce que je dis, ce que je crois, ce que je propose aux Français, s’impose.

Je ne suis pas au marché en train d’acheter et de vendre. Il s’agit de quelque chose qui touche au destin d’un peuple et j’ai l’intention de m’adresser à ce que ce peuple attend de plus profond en lui. C’est le sens de mon livre, Résolution française, et c’est le sens de ma décision.

Vous dites que vous n’avez pas réclamé Matignon mais s’il vous le propose, vous êtes disponible ?

C’est votre affirmation.

C’est une question.

Je ne me projette pas au-delà de l’élection présidentielle. J’ai toujours récusé les tickets car il faut que chacun exerce ses responsabilités. Il y a un président de la République, qui a à constituer des équipes et à faire naître ou à tenir compte des majorités qui se forment. C’est une pratique nouvelle des institutions que j’appelle de mes vœux.

Vous n’êtes pas tout seul. Quid des candidats MoDem ? Ils vont être intégrés dans le contingent des 577 candidats En Marche ?

Je ne crois pas aux partis uniques. J’ai dit à Emmanuel Macron que cela ne ressemblait pas du tout à l’idée que je me faisais. Je ne l’ai pas refusé à N. Sarkozy et J. Chirac pour l’accepter dans d’autres circonstances. Je crois au pluralisme, je crois à la légitimité des courants politiques qui ont leur histoire, leur équipe, et qui décident de travailler ensemble. C’est plus fructueux, plus riche, plus respectueux que d’avoir un parti unique qui décide que tout le monde va s’aligner sur une seule position.

Vous avez le sentiment de faire une partie de l’histoire politique ?

Oui, je pense que c’est un moment important, mais ce n’est pas le premier.

J’ai un engagement politique depuis des années qui a été émaillé de décisions lourdes.

C’est un des plus importants ?

C’est un des plus spectaculaires, disons.

Vous avez reçu des centaines et centaines de message ?

Oui. 98% positifs, ce qui m’a surpris !

 

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